lundi 18 mai 2015

Les membres et l'estomac fiche récap

Fiche récapitulative : “Les Membres et l’Estomac” Jean de La Fontaine  Fables III, 2 1668

Contexte historique : En 1650, la France a connu la Fronde, une révolte populaire des Parisiens mécontents des abus du pouvoir royal. Quelques années plus tard, face aux exigences croissantes des impôts appliqués par Colbert, une nouvelle révolte était à craindre. La Fontaine écrit cette fable à cette époque et semble par-là soutenir le pourvoir royal. Il s’inspire de deux apologues antiques, l’un d’Esope (VIème s av. JC) intitulé Le ventre et les pieds et l’autre rapporté par Tite Live (historien latin du Ier s ap J.C) lors de la révolte du peuple contre le sénat.

Un récit plein de vivacité.
La Fontaine commence par un mea culpa, il reconnait qu’il aurait dû commencer par la Royauté, puis établit un lien entre le personnage de Gaster et la figure Royale. Il fait ensuite le récit mettant en scène les membres et l’estomac  et en tire une leçon :  v24-25 : Ceci peut s’appliquer à la grandeur Royale. /Elle reçoit et donne, et la chose est égale. » Cependant la fable ne s’arrête pas là. La Fontaine rappelle un épisode de l’histoire romaine qui montre le pouvoir de la fable à des fins argumentatives.
Ainsi la fable de La Fontaine est une sorte de compilation de deux récits qui se renforcent l’un l’autre et permet au lecteur de ne pas se lasser.
·         Système des temps verbaux : Dans chaque récit l’auteur utilise le passé simple et le présent de narration pour dynamiser son texte puis le présent de vérité générale pour élargir son discours à une morale.
·         Hétérométrie : les effets de rupture dans les fables ont toujours un sens. Ici alors que le récit est en alexandrins,  au v.15, le décasyllabe montre la rapidité avec laquelle les membres décident de ne plus fonctionner : « Les bras d’agir, les membres de marcher », Au v.21 l’octosyllabe prouve la force de la leçon : « Par ce moyen, les mutins virent ».
·         Mélange des discours : Le discours direct domine dans la première partie : « Il faudrait, disaient-ils, sans nous qu’il vécût d’air » v.9. Les membres expriment leur ressentiment clairement. Ils font front en utilisant le « nous » face à Gaster (l’estomac paresseux selon eux)
Le discours indirect domine dans la deuxième partie. Le « nous » fait place au « ils » devant lesquels Ménénius fait face.
·         La Fontaine met en scène des éléments du corps humain qui représentent commence métaphoriquement le roi (l’estomac) et le peuple (les membres). Cette image semble plus efficace puisque leur interdépendance est plus évidente.
Une réflexion politique :
·         Eloge du roi : le roi semble subvenir à tous les besoins de la société : accumulation d’actions v.28-31. « Elle fait subsister l’artisan de ses peines/ Enrichit le Marchand, gage le Magistrat, /Maintient le laboureur, donne paie au soldat, / Distribue en cent lieues ses grâce souveraines. »
·         Jeu entre le « tout » et le « un » = au départ, le fait que tous travaillent pour un seul est montré comme une injustice : «  Nous suons … Pour lui seul ». Même idée dans la deuxième histoire : « il avait tout l’Empire ». Mais à la fin de cette partie de la fable, le rapport s’inverse et devient équitable : « tout travaille pour elle, et réciproquement ». On peut remarquer des mots qui évoquent la partialité de cette vision des choses initialement : les termes croyait » et « erreur » marquent le renversement entre les deux conceptions de la royauté.
·         L’utilisation d’un épisode romain montre l’attachement de La Fontaine pour les Anciens (très grande influence chez les Classiques du XVIIème) et puisque Ménénius a réussi à calmer la révolte des plébéiens, La Fontaine semble dire que la leçon est à retenir.
·         Cependant, cette fable constitue aussi un éloge ambigu :
·         V1 et 2 : L’aveu du début de la fable  peut être considéré comme une marque de révérence mais aussi comme un manque de respect envers le roi.
·         Les membres du corps font la liste de tout ce qu’ils subissent : v10.11 dans un rythme particulièrement vif :  « Nous suons, nous peinons, comme bêtes de somme » L’assonance en [o] et [ou] donnent de l’ampleur au travail accompli et accentue le contraste avec le vers suivant :  « Et pour qui ? Pour lui seul » (« seul » se trouvant à la césure). Ainsi les membres dénoncent leur condition d’esclaves et se comparent à des animaux (ce qui est amusant pour une fable). De plus, le pouvoir royal est décrit à maintes reprises comme « oisif », « paresseux », « sans rien faire ». Il est ainsi accusé de profiter du peuple qu’il oppresse injustement.
·         La Fontaine prend quelques précautions quand il critique le pouvoir royal en ne le désignant pas par la personne qu’il incarne : le Roi. Il utilise plutôt les termes « grandeur Royale » ou bien « la Royauté ». Ainsi le Roi-Soleil ne peut se dire visé directement.

Une réflexion sur la poésie et le pouvoir de la fable.
·         Au-delà d’un éloge et d’une critique confondus du pouvoir royal, La Fontaine a un troisième objectif : celui de montrer l’efficacité du genre de la fable. A deux reprises l’ambassadeur Ménénius est cité et semble être un exemple de diplomatie : « Ménénius le sut bien dire » v33 et « Quand Ménénius leur fit voir » v41. Notons qu’à chaque occurrence le nom est mis en valeur par un vers plus court (octosyllabe) et  une diérèse sur Ménéni-us.
·         En glorifiant cette position de médiateur issu de l’histoire romaine, La Fontaine en écrivant une fable devient un médiateur lui-même. Médiateur nécessaire et important dont le rôle est de faciliter les relations au sein du corps social.

Conclusion : Une fable à la construction complexe qui ne tombe pas dans l’éloge béat de la royauté mais en souligne les qualités et les défauts avec subtilité. Enfin et c’est ce qui rend le fabuliste si nécessaire, cette fable en s’inscrivant dans une tradition ancienne en utilisant des textes antiques qui font référence, rend compte de la puissance de l’apologue sur ses lecteurs.


Questions envisageables :
A quoi tient l’originalité de cette fable ?
En quoi cette fable fait-elle l’éloge de la puissance royale ?
A quelles morales cette fable aboutit-elle ?

Textes sources :
L’apologue rapporté de Tite Live :
Introduit dans le camp, Ménénius, dans le langage inculte de cette époque, ne fit, dit-on, que raconter cet apologue : (9) Dans le temps où l'harmonie ne régnait pas encore comme aujourd'hui dans le corps humain, mais où chaque membre avait son instinct et son langage à part, toutes les parties du corps s'indignèrent de ce que l'estomac obtenait tout par leurs soins, leurs travaux, leur ministère, tandis que, tranquille au milieu d'elles, il ne faisait que jouir des plaisirs qu'elles lui procuraient. (10) Elles formèrent donc une conspiration : les mains refusèrent de porter la nourriture à la bouche, la bouche de la recevoir, les dents de la broyer. Tandis que, dans leur ressentiment, ils voulaient dompter le corps par la faim, les membres eux-mêmes et le corps tout entier tombèrent dans une extrême langueur. (11) Ils virent alors que l'estomac ne restait point oisif, et que si on le nourrissait, il nourrissait à son tour, en renvoyant dans toutes les parties du corps ce sang qui fait notre vie et notre force, et en le distribuant également dans toutes les veines, après l'avoir élaboré par la digestion des aliments. (12) La comparaison de cette sédition intestine du corps avec la colère du peuple contre le sénat, apaisa, dit-on, les esprits. 
L’apologue d’Esope : L’Estomac et les pieds.
L’estomac et les pieds disputaient de leur force. À tout propos les pieds alléguaient qu’ils étaient tellement supérieurs en force qu’ils portaient même l’estomac. À quoi celui-ci répondit : « Mais, mes amis, si je ne vous fournissais pas de nourriture, vous-mêmes ne pourriez pas me porter. » Il en va ainsi dans les armées : le nombre, le plus souvent, n’est rien, si les chefs n’excellent pas dans le conseil.