Fiche
récapitulative : L’ Étranger, la
mort de l’arabe, chap.6
(De :
« j'ai pensé que.... » à la fin du chapitre)
Ø
On retrouve des
traits d’écriture habituels du narrateur lors du récit de cette scène qui
relate pourtant un événement dramatique - il tue un homme-, une écriture de la sobriété. Le narrateur-personnage semble étranger
à toute volonté de s'analyser ou de se justifier.
§
le narrateur
emploie beaucoup de phrases simples (phrases
avec un seul verbe conjugué) : « J'ai fait quelques pas vers la
source », « J'ai secoué la sueur et le soleil »....,. Les
phrases sont brèves : (citer des
exemples), et suivent le plus souvent l'ordre sujet, verbe complément :
«J'ai pensé que.... », « L'arabe n'a pas bougé », « la
lumière a giclé sur l'acier », « La brûlure du soleil
gagnait mes joues ...»
§
Il propose un récit bâti autour d'une succession d'instants : les
expressions temporelles : « Et cette fois », « Au même
instant », « C'est alors que », « Alors, j'ai tiré
encore », ainsi que la conjonction de coordination « et »,
montrent que le narrateur perçoit les événements comme une
suite de moments qui ne sont pas liés de façon logique, Meursault rapporte des
faits, des gestes, sans chercher à en proposer une explication.
§
Les liens de cause sont incertains, ténus : « peut-être à cause des ombres »,
« À cause de cette brûlure....Je savais que c'était stupide ». Le
lien entre le pas de Meursault et le geste de l'arabe n'est pas explicite, ni
entre ce geste et le coup de feu.
Ø
Toutefois, des éléments d'écriture nouveaux présentent
des images d’apocalypse et soulignent
la violence de la scène, il
s'agit de comparaisons et de métaphores : le couteau sous
l'effet de la lumière est « comme
une longue lame », « un glaive éclatant », « une épée
brûlante », le narrateur sent « les cymbales du soleil »,
« Le ciel s'ouvre....pour laisser pleuvoir du feu ».
Les images
présentent aussi le motif de l'aveuglement du personnage : la sueur recouvre ses yeux d'un « voile », forme un
« rideau ».
De plus, les
coups de revolver sont comme frappés « sur la porte du malheur ». Tout ceci, violence, aveuglement, malheur,
confère au texte une tonalité tragique.
Ø Meursault vit la scène à travers ses sensations : le champ lexical des sens est très développé :
« J’ai senti », « je ne pouvais
plus supporter », « mes yeux étaient aveuglés », « je ne
sentais plus », « j'ai crispé ma main », « j'ai
touché »...
Ø
Le tragique vient des éléments extérieurs, de la violence du feu, de la chaleur.
Ce sont les éléments du cosmos qui
semblent provoquer le geste de Meursault,
« la plage vibrante de soleil » le « presse », « la
mer », « le ciel ». L'accumulation des notations sensorielles incite
à voir dans les effets du soleil et de la chaleur la cause de la mort de
l’arabe : la « brûlure » (terme répété 2 fois) du soleil est
« insupportable », engendre une violence insoutenable sur le
corps « le front surtout.....battaient ensemble sous sa peau », « la
lumière.....m'atteignait au front », « je ne sentais plus que
les cymbales du soleil sur mon front »...
Ø
Le récit semble donc décharger Meursault de toute
responsabilité directe,
§
C'est peut-être
parce que le « front » du personnage (le front est traditionnellement
associé à la pensée et à la conscience) est altéré que le personnage commet un
geste absurde pour se défendre d'une brûlure. De même, le geste de l'arabe
n’apparaît pas explicitement agressif,
c'est seulement parce qu'il a été « présenté dans le soleil» que le
couteau est devenu terriblement menaçant. Le
tragique pour Meursault s'incarne ici dans la brûlure du soleil sur son corps
souffrant, autant de forces qui le dépossèdent de toute volonté consciente et qui le
dépassent.(une fatalité qui vient d’une force extérieure=le soleil ; une
fatalité qui vient de l’intérieur du personnage= ses sensations exacerbées sous
l’effet de la violence du soleil)
§
Le choix des sujets des verbes montre à quel
point l'acte est involontaire, a
échappé à son auteur : « tout
a vacillé », « La mer a
charrié », « La gâchette
a cédé », les actions semblent s'accomplir d'elles-mêmes. Lorsque Meursault
emploie la première personne « J'ai
crispé ma main », l'acte semble venir seulement d'un mouvement réflexe du corps. L'expression « J'ai touché le
ventre poli de la crosse » montre à quel point il ne mesure pas les
conséquences du geste accompli, au contraire il semble à ce moment trouvé un
peu de douceur.
Ø
La conscience ne vient qu'après l’accomplissement de
l’acte, il semble qu'elle ait été
réveillée par le bruit des coups de feu : « J'ai compris » « J'avais détruit …..où j'avais été heureux. ». L’emploi du plus-que –parfait souligne le fait
que cette conscience dégage alors de l’instant. Mais il s'agit plus de la
conscience de la rupture d'un équilibre du monde, de la conscience d'une
rupture, que de celle de la mort d'un être humain, désigné comme « un
corps inerte où les balles s'enfonçaient sans qu'il y parût. » Là encore,
Meursault semble étranger à tout sentiment humain.
Ø
On peut donc se
demander qui est ce personnage de Meursault:
§
une victime de forces qui ont conduit cette
tragédie, d’un enchaînement de circonstances qui l’ont conduit là, sur cette
plage, dans cette chaleur accablante, avec un révolver que, par une ironie tragique, il avait pris par
précaution à Raymond pour qu’il ne tue pas ?
§
un inconscient,
qui fait preuve d’une légèreté coupable,
qui cherche un peu de fraîcheur auprès d’une source et ne se rend pas compte de
ce que son attitude peut avoir de menaçant au vu de ce qui s’est passé
auparavant ? Raymond s’est déjà
battu avec l’arabe et a été blessé, l’arabe peut donc légitimement penser que
Meursault revient venger son ami. Il
agit dans un état second, sans même se rendre compte de ce qu’il fait.
§
un homme absurde, dont l’existence tout entière
n’a pas de sens, dont la vie et les actes n’ont aucune signification, et qui se
rend compte à ce moment-là, dans cette situation dramatique, qu’il lui faut
accepter ce destin qu’il n’a pas choisi, et qui donc tire encore quatre fois
sur un corps déjà mort parce qu’il lui faut assumer ses actes et l’incohérence
de son existence?
Un passage en tout cas d’une forte tension dramatique
qui, tout en s’inscrivant dans la continuité de ce qui précède – ce sont les
circonstances liées à la vie quotidienne d’un employé français à Alger un peu
étrange qui l’ont conduit à accomplir l’irrémédiable -- , marque un tournant. Si le personnage reste opaque à lui-même
pendant la plus grande partie du récit, il prend conscience à la fin de la
tragédie qui vient de se jouer pour lui, choisit de l’assumer, et cette
évolution s’accompagne d’un changement stylistique, ce qui est une des
caractéristiques du roman de Camus.
Questions
possibles :
Dans quelle
mesure ce passage est-il tragique ?
En quoi le
personnage de Meursault est-il un étranger ?
En quoi/
comment ce passage présente-t-il un tournant dans le roman ?
En quoi/dans
quelle mesure le personnage est-il un anti-héros ?