mardi 24 février 2015

Fiche récapitulative de l'incipit de l'étranger.



Fiche récapitulative : Incipit,  L’Etranger, Albert Camus             -


Du début à « prendre des tickets et faire deux heures de route. ».

 

Un journal intime ?
  • Récit à la première personne.
  • Connecteurs  temporels lié au présent du narrateur (présent d'énonciation) « aujourd’hui », « hier », « demain », « dans l’après-midi », « demain soir » :
  •  Personnage dont nous apprenons le nom par le hasard des événements racontés : « Mme Meursault », dit le directeur de l’asile, tout comme nous ne pouvons que deviner que l’action se passe à Alger. Ce qui ajoute encore à l’illusion du journal intime.
  • Cependant, nous n’en avons pas les indices traditionnels (écriture sous forme de notes, indications de lieu et d’heure de l’écriture). Pas de logique narrative propre au genre du journal.
  • Le personnage vit le temps présent et le lecteur ne suit l'action qu'à travers son regard et son rapport particulier au monde

Une écriture simple
  • Phrases apparemment très simples : Le discours est à peine plus construit que le télégramme retranscrit dans le premier paragraphe. Phrases réduites parfois à la plus simple construction grammaticale possible : noter par exemple la récurrence du schéma Sujet-Verbe-Complément. (phrases neutres)
  • L'écriture donne une impression d'authenticité, d'immédiateté :
                Pas de réelle mise en doute de la véracité des événements relatés : pas de soupçon du            lecteur. Renforce d’autant plus cette entrée dans la conscience du héros.
  • La succession des événements est extrêmement brève, puisque les faits sont consignés de la manière la plus épurée possible. Par ailleurs, l’absence assez frappante de termes de liaison (asyndètes) crée l’illusion d’une succession d’actions mécanisées : « l’asile est à deux kilomètres du village. J’ai fait le chemin à pied. J’ai voulu voir maman tout de suite. »
  • L’absence frappante de descriptions
                Cet incipit fait apparaître un certain nombre de personnages, dont aucun n’est décrit.               Ainsi, la mère du « maman est morte » n’est-elle jamais l’objet d’une description,    alors même qu’elle est au centre de la narration de cet extrait. De la même manière, Le               patron, Céleste, Emmanuel, Le concierge, le militaire sont réduits à leurs simples     prénoms ou fonction, ainsi qu’à leurs propos. Seul le directeur de l’asile a droit à un    semblant de description : « C’était un petit vieux », « il m’a regardé de ses yeux       clairs ». Elle est cependant réduite à son minimum, et on ne sort ni de l’expression          courante (petit vieux) ni de la construction grammaticale simpliste (yeux clairs).
                Les lieux ne sont pas davantage l’objet de description. Finalement, les actions n’en     prennent que plus d’importance encore, puisque le récit tout entier se concentre sur       leur enchaînement.

Un personnage étrange

  • A cause des temps utilisés (PC : non coupé de la situation d’énonciation, PI et FS), l’expression de la temporalité du narrateur est réduite au minimum. Impression que seuls les termes hier-aujourd’hui-demain sont pertinent dans la conscience de ce dernier. Isolement du présent de l’indicatif, qui reste la seule référence possible du narrateur : « Aujourd’hui », « hier » « enterrement demain ».
  • Toutes les actions semblent être mises sur le même plan : la mort de la mère et le fait de trouver une cravate... Il n'y a pas de hiérarchie dans la présentation des évènements alors que pour le lecteur l'annonce de la mort de la mère devrait être le thème central, raison pour laquelle la première phrase du texte est extrêmement connue.
  • Un personnage apparemment indifférent.
                Pas un seul sentiment n’est exprimé sous la plume du narrateur face à cet événement             tragique entre tous. Les trois premières phrases n’ont de but que la recherche de la date       exacte de la mort. Le personnage semble surtout s'intéresser aux modifications d’emploi du temps qu’elle entraîne : « je prendrai l’autobus », « j’ai demandé deux                jours de congé », 
                Enfin, le dernier paragraphe de l’extrait est même réellement choquant : il explique   son refus d’aller voir sa mère parce qu’elle s’est habituée à l’asile, mais surtout à cause             de « l’effort pour aller à l’autobus… ». La présence du tiret après « ça me prenait mon    dimanche » accroît encore le décalage entre l’action peu glorieuse et son explication                 qui l’est encore moins.
  • Finalement, les seules réactions « émotionnelles » à la mort de la mère sont celles des personnages de l’entourage de Meursault : « ils avaient tous beaucoup de peine pour moi », « On n’a qu’une mère », ou encore la longue poignée de main du directeur, sans doute destinée à montrer sa compassion. Mais non seulement les autres font preuve de sentiments qu’il ne dévoile pas, lui le premier concerné, mais encore ces effusions ont presque l’air de le gêner : Le constat de la peine de ses amis est si succinct qu’il semble étonné, la poignée de main l’embarrasse. Tout contact amical, qu’il soit de compassion circonstanciée ou amical (le sourire du militaire) est refusé, considéré comme gênant, voire impudique.

  • Une logique déconcertante
                La réflexion du narrateur consiste à trouver les raisons de l’attitude peu agréable du   patron, qui viendrait du caractère « non officiel » du deuil qui disparaîtrait après             l’enterrement : « une affaire classée ». Le lecteur a du mal à suivre le raisonnement, et             le paradoxe entre l’apaisement du patron et l’affaire classée de l’enterrement… La         logique de la réflexion nous échappe


Un personnage pourtant sensible
  • Des détails et des sensations
Des actions accomplies sous l’influence d’impressions et de sensations physiques (le sommeil dans le bus est causé par « cette hâte, cette course (…), ajouté aux cahots, à l’odeur d’essence, à la réverbération de la route et du ciel »), la chaleur (« il faisait très chaud »)
Meursault observe ce qui l'entoure avec beaucoup d'acuité : « c'était un petit vieux avec la Légion d'Honneur », « de ses yeux clairs », il se souvient que le militaire assis à ses côtés lui a souri, que le directeur lui a pris la main longuement. Les paroles de Céleste,  et du directeur sont retranscrites au discours direct pour insister sur leur authenticité.
  • Une émotion dite entre les lignes, implicite.
Le personnage de Meursault montre par son attitude une impatience à se rendre sur le lieu du décès, « j'ai voulu voir maman tout de suite » dit être étourdi  en en expliquant maladroitement la cause : « parce qu'il a fallu que je monte chez Emmanuel pour lui emprunter une cravate », refuse la discussion avec un militaire dans le car : « J'ai dit « oui »  pour ne plus avoir à parler ». Le lecteur peut y voir une certaine pudeur chez le personnage et non une insensibilité. L'emploi du terme « maman » et non « mère », terme enfantin est encore un signe de son affection..
  • Un sentiment de culpabilité à fleur de peau
                Le seul sentiment qui, finalement, transparaît clairement dans le texte, c’est le             sentiment de culpabilité de Meursault. Que ce soit lorsqu’il parle à son patron (« ce n’est pas de ma faute », « je n’aurai pas dû dire cela », « je n’avais pas à m’excuser »)   ou au directeur (« j’ai cru qu’il me reprochait quelque chose »), que ce soit même quand il commente les paroles de ce dernier (« C’était vrai »). C’est à travers ce            sentiment de culpabilité que se ressent le mieux la sensibilité de Meursault





Conclusion : Cette première plongée dans le roman qu’est la lecture de l’incipit est particulièrement déconcertante dans le cas de L’Etranger. Coupé des codes traditionnels de la lecture romanesque, placé face à une intériorité dont il peine à comprendre le fonctionnement et le raisonnement, confronté à l’événement tragique de la mort de la mère et ne trouvant pas les réactions émotionnelles attendues, le lecteur ressent un malaise qu’il met immédiatement sur le compte du héros qui paraît particulièrement antipathique. En réalité, si Meursault est effectivement donné comme un degré zéro de la conscience, il n’est pas pour autant un personnage si indifférent. Et son refus d’interpréter ses actes n’est pas tant la preuve d’un refus de communication ou d’émotion qu’un refus de ne donner qu’une signification aux choses. Au lecteur d’apprécier, de combler les manques de la narration, d’imaginer tous les possibles de ces actes, mais aussi de la laisser ouverte. Tous les éléments du procès qui seront utilisés contre Meursault se trouvent, finalement, concentrés dans cet incipit.

Questions envisageables :
  1. En quoi cet incipit est-il original ?
  2. En quoi le personnage peut-il paraître étrange ?
  3. En quoi cet incipit rompt-il avec l’esthétique du roman traditionnel ?

"Souvenir" de Musset

Souvenir, Alfred de Musset in Poésies nouvelles 1850



Les voilà, ces coteaux, ces bruyères fleuries,
Et ces pas argentins sur le sable muet,
Ces sentiers amoureux, remplis de causeries,
          Où son bras m'enlaçait.

Les voilà, ces sapins à la sombre verdure,
Cette gorge profonde aux nonchalants détours,
Ces sauvages amis, dont l'antique murmure
          A bercé mes beaux jours.

Les voilà, ces buissons où toute ma jeunesse,
Comme un essaim d'oiseaux, chante au bruit de mes pas.
Lieux charmants, beau désert où passa ma maîtresse,
          Ne m'attendiez-vous pas ?

Ah ! laissez-les couler, elles me sont bien chères,
Ces larmes que soulève un cœur encor blessé !
Ne les essuyez pas, laissez sur mes paupières
          Ce voile du passé !



Fiche récapitulative :Robert Desnos Non, l'amour n'est pas mort.

« Non, l’amour n’est pas mort » dans Corps et Biens, Robert Desnos, 1930


Introduction
Le Surréalisme est un mouvement de révolte et d’émancipation du langage et de l’art. Autodidacte et poète inspiré, Robert Desnos a été longtemps considéré par les surréalistes comme un « prophète ». Mais il s’éloigne du mouvement en revenant vers un lyrisme plus proche du Romantisme. « Non, l’amour n’est pas mort »  réaffirme la toute-puissance de l'amour, et se construit comme une réponse à ceux qui pourraient dire que l'amour est mort, thème surréaliste par excellence. Il s’inscrit dans la tradition du lyrisme amoureux, mais s'en démarque par sa forme et le traitement des lieux communs poétiques.

Un poème lyrique
- Énonciation lyrique : 1ère et 2ème pers + mise en scène du poète lui-même (« Moi qui suis Robert Desnos »)
- Le destinataire du discours poétique est double (lecteur « Écoutez » puis femme aimée « dis-toi »)
- Thème lyrique : amour malheureux
- Lyrisme aussi par la musicalité du poème + caractère d’oralité (répétitions, anaphores, allitérations, assonances, vocabulaire et syntaxe simples / proches de l'oral) => il s’agit plus d’un « poème parlé » que d’un texte écrit.

 Un hymne à l’amour
- Célébration de la toute-puissance de l’amour, qui vaut la peine d’être vécu même s'il est malheureux (souffrances, infidélités « des bouches se collent à cette bouche »).
- Début du poème : discours général sur l’amour (article à valeur générique « j’aime l’amour ») puis discours sur l’amour que vit le poète (déterminants possessifs et démonstratifs)
- L’amour : source de bonheur et de souffrances (« tendresse »/ « cruauté ») ; engage tout l’être ; unique ; éternel ; beau et pur => une vision finalement assez traditionnelle.

 Un éloge de la femme aimée
Célébration de la femme aimée : « Mon amour n'a qu'un nom, qu'une forme » (v6) et «Ô toi, forme et nom     de mon amour » (v8), la phrase négative restrictive reprise au vers 8 montre bien que c'est cette femme qui incarne l'amour pour le poète.
La femme aimée apparaît à travers des éléments du corps : « cette bouche » (v5), « Ta voix et ton accent, ton regard et ses rayons » Ces éléments sont utilisés traditionnellement dans la poésie comme « les cheveux » (v20) et marquent une certaine sensualité comme dans le vers suivant : « l'odeur de toi et celle de tes cheveux et beaucoup d'autres choses encore vivront en moi »
- Le poète idéalise la femme aimée (v. 17 : adjectifs et expressions mélioratifs  belle », « désirable », « parmi les merveilles » et métaphore solaire du v.19 « ton regard et ses rayons »)
- Mise en scène de la bien-aimée (v9 à13) dans des cadres multiples (naturel ou urbain, nocturne ou diurne) => sorte de promenade sentimentale fantasmée traduisant le caractère obsessionnel du poème + lieux peu décrits mais agréables et harmonieux = reflets de la beauté de la femme aimée.

Un poème qui s’inscrit dans une longue tradition
- Longue tradition : lyrisme amoureux, célébration amour, idéalisation femme aimée.
- Références explicites à Ronsard et Baudelaire.
- Reprise de lieux communs poétiques : topos de la belle indifférente ; topos de la fuite du temps ; topos de la promenade sentimentale.

 Le renversement des lieux communs poétiques
Pour se démarquer, le poète renverse les lieux communs poétiques :
- La « belle indifférente » reste belle même dans « la vieillesse et dans la mort »
- « La promenade sentimentale » est subvertie car elle ne s'est jamais réalisée dans le réel.
- Robert Desnos affirme la supériorité de la vie sur l'art (la gloire du poète ne vient pas de son art, mais de l'amour fou qu'il a vécu) contrairement à ses prédécesseurs comme

 La modernité d’un poème surréaliste
Thèmes surréalistes : amour fou + supériorité de la vie sur l'art.
Forme « libre » : vers libres + versets  + vers réguliers.
Ponctuation très discrète : « coulée » de l'écriture automatique.
Caractère d'oralité marqué : poème « parlé » ou « proféré » plus qu'écrit.

Conclusion
Poème entre tradition et modernité, renouvelle le lyrisme amoureux et réaffirme la toute-puissance de l’amour.

Question envisageable :
En quoi la célébration de l’amour et de la femme aimée renouvelle-t-elle la tradition lyrique ?




lundi 23 février 2015

Fiche récapitulative de "Souvenir" de Musset

Fiche récapitulative de Souvenir d’Alfred de Musset dans Poésies nouvelles, 1850

Introduction : La publication des Méditations de Lamartine en 1820 marque le début de la révolution romantique. Les poètes placent alors l’expression du Moi au cœur de leur œuvre et ainsi donnent un nouvel élan au lyrisme amoureux. Alfred de Musset s’inscrit pleinement dans ce nouveau mouvement littéraire en  particulier dans son recueil Poésies nouvelles publié en 1850. Dans le poème « Souvenir » le poète revient dans la forêt de Fontainebleau qui fut le témoin de ses amours avec George Sand.

·         Nous n’avons ici qu’un extrait du poème qui compte 45 quatrains dans sa totalité.
·         Structure de l’extrait : 4 quatrains, composés chacun de 3 alexandrins et 1 hexasyllabe.
·         Le lecteur suit le poète dans sa promenade ponctuée de différents éléments : « ces coteaux », « ces sentiers », « ces sapins », « ces buissons ». Les démonstratifs montrent bien que le paysage est déjà connu du poète. Il ne les découvre pas, il les redécouvre.
·         Une promenade : De plus l’anaphore au début des 3 premiers quatrains « Les voilà » illustre bien cette promenade et fait progresser le lecteur au cœur de la forêt en passant par différents paysages. Le terme « pas » revient d’ailleurs à deux reprises : « pas argentins » v. 2 et  « mes pas » v.10.
Le rythme du poème dans ces 3 premières strophes est équilibré, la césure principale est à l’hémistiche (au milieu du vers) comme pour mimer le mouvement des pas. Même l’alternance des rimes (rimes croisées) accentue ce mouvement.
Cette anaphore met en valeur certains éléments de la nature et provoque à chaque fois le souvenir du poète. « Ces coteaux », « ces sapins » réveillent chez le poète les souvenirs. Cette évocation semble presque joyeuse, dans un premier mouvement de reconnaissance, comme s’il retrouvait des amis éloignés dans depuis longtemps. Mais dans la première strophe l’hexasyllabe rompt ce mouvement joyeux en utilisant l’imparfait qui évoque alors un amour perdu : v.4 « Où son bras m’enlaçait » La troisième strophe fait apparaître une tristesse jusqu’ici sous-jacente : «où passa ma maîtresse » v.11 en utilisant le passé simple qui traduit une action révolue.
·         Ainsi, dans une lecture plus attentive la nature parce qu’elle a été  témoin d’un amour perdu,  semble « prendre la couleur » de cet amour. Aussi, lorsque le poète regarde « ces sentiers » v.2 ils ne sont plus de simples sentiers, ils deviennent des sentiers « amoureux ».
·         Personnification de la nature : v.2 : « sable muet », v.3 « ces sentiers amoureux, remplis de causeries », v.6 : « cette gorge profonde aux nonchalants détours », v.7 : « Ces sauvages amis dont l’antique murmure a bercé mes beaux jours. », les phrases injonctives que le poète adresse à la nature dans le dernier quatrain.
Toute la nature participe à l’évocation de cet amour, malgré elle. C’est le poète qui transpose autour de lui ses sentiments, ses réflexions. Ainsi, les strophes sont emplies de nostalgie douce.
·         Un poème lyrique voire élégiaque : Les 3 premiers quatrains semblaient doux et presque joyeux, emprunts de nostalgie certes mais sans tristesse poignante. La dernière strophe en revanche fait éclater l’émotion du poète. Le dernier quatrain commence par cette exclamation « Ah ! » qui rompt avec le reste. L’émotion couvait et s’exprime enfin. La tristesse du poète est explicite : « un cœur encor blessé ! »
On peut parler de registre élégiaque parce que le poète se complet dans la tristesse et dans l’évocation douloureuse des souvenirs. Il implore la nature de le laisser pleurer par des phrases injonctives : « laissez les couler !, Ne les essuyez pas ! »
La solitude du poète : Le fait que Musset s’adresse dans le dernier quatrain à la nature montre bien sa solitude. Il ne peut s’adresser à sa bien-aimée puisque son amour est perdu.

Conclusion : Dans ce poème élégiaque, Musset s’inscrit parfaitement dans le mouvement romantique en faisant de la nature le témoin de ses sentiments. La nature se fait l’écho de l’émotion du poète, thème éminemment romantique. D’autres poètes du XIXème reprennent également cette thématique comme Hugo et Lamartine.



Questions envisageables :
En quoi ce poème peut être considéré comme romantique ?
En quoi les sonorités et le rythme de ce poème  permettent-ils l’évocation d’un amour perdu ?


Déjà la nuit en son parc texte et explication

Déjà la nuit en son parc… de Joachim Du Bellay

Déjà la nuit en son parc amassait
Un grand troupeau d'étoiles vagabondes,
Et, pour entrer aux cavernes profondes,
Fuyant le jour, ses noirs chevaux chassait ;

Déjà le ciel aux Indes rougissait,
Et l'aube encor de ses tresses tant blondes
Faisant grêler mille perlettes rondes,
De ses trésors les prés enrichissait :

Quand d'occident, comme une étoile vive,
Je vis sortir dessus ta verte rive,
O fleuve mien ! une nymphe en riant.

Alors, voyant cette nouvelle Aurore,
Le jour honteux d'un double teint colore
Et l'Angevin et l'indique orient.

Du Bellay - L'Olive, 1550

Introduction : Joachim Du Bellay fait partie du groupe de 7 poètes (dont Pierre de Ronsard) qui constitue le mouvement littéraire de la Pléiade. Ce mouvement littéraire contribue en 1549 à l’épanouissement de la langue française  par   La Défense et illustration de la langue française  en prônant les modèles antiques (grec, latin).  Les poètes s'inspirent du quattrocento italien et du poète Pétrarque. On retrouve ces aspects dans L'Olive, œuvre écrite la même année et qui constitue le premier recueil de poèmes amoureux adoptant la forme du sonnet. Inspiré de modèles italiens Du Bellay utilise dans ce poème le thème de la Belle matineuse (la femme aimée qui dépasse en luminosité et en beauté le soleil qui vient de se lever).


Un sonnet : Les deux premiers quatrains forment une unité tout en étant opposés. Les deux quatrains commencent de la même manière (anaphore de « Déjà ») et sont tous deux à l’imparfait. Les verbes ont d’ailleurs la même place dans chaque strophe : « amassait » et « rougissait » vers 1 et 5, « enrichissait » et « chassait » aux vers 4 et 8.
Mais ils sont opposés parce que le premier quatrain présente la nuit et le second le jour. Le premier quatrain présente un mouvement de fuite et le second le mouvement inverse. Il existe une progression dans le poème. Les deux quatrains préparent l’arrivée d’une nouvelle lumière qui constitue la « pointe » du sonnet au dernier tercet.
Rupture entre les deux quatrains et le premier tercet :
Le connecteur « quand » marque cette rupture et est suivi d’un passé simple : « je vis ».
Poème lyrique et humaniste : dans la seconde partie, le poète exprime ses sentiments dans une exclamative qui semble irrépressible : « ô fleuve mien ! ». Du Bellay évoque ainsi son Anjou natal ainsi que la Loire auxquels il est très attaché. Dans ce poème, cohabitent un thème mythologique et connu : le topos de la belle matineuse et un  thème cher au poète : son pays natal : « l’Angevin » « ô fleuve mien ! » C’est ce qui fait l’originalité du poème et le rend plus touchant et ne se réduit pas ainsi à un exercice de style aussi brillant soit-il.
Topos : une topos est un sujet littéraire qui revient souvent jusqu’à constituer un thème récurrent et attendu dans la littérature.
Le poète apparaît comme témoin de cette apparition de la « Nymphe » (vers 11). Il semble placé au bord de la Loire et surpris par cette apparition, à moins qu'il ne l'ait attendue.

Poète situe la nymphe dans son univers personnel qu'il évoque avec émotion dans l'apostrophe du 1er hémistiche : « O fleuve mien ! » Il prend le fleuve à témoin.
« L'Angevin » région du poète : l'Anjou, Angers...  La Loire.

Personnification des éléments naturels :
Nuit: sujet de 4 verbes d'action : « amassait », « entrer », « fuyant », « chassait »  personnification de la nuit.
 Comparée d'abord à une bergère où les étoiles sont son troupeau. Les chevaux noirs peuvent évoquer les chars mythologiques : elle s'en sert pour rassembler les étoiles : allusion directe au char d’Apollon.
 - Sonorités : Allitération des sifflantes [f]x2, [s]x4 et [ch]x2. Paronomase vers 4 avec « chevaux chassait » : harmonie imitative, sonorités qui semblent faire entendre le souffle des chevaux en cavale. Allitération en [r]x8 qui évoque peut-être le râle des chevaux.
paronomase : consiste à rapprocher des mots comportant des sonorités semblables qui ont des sens différents.

 Personnification du jour :
 
« l'aube » : « des tresses tant blondes » /  verbe « enrichissait »; « faisant grêler » verbes d'action qui font de l'aube une personne. L'Aube semble dotée d'un pouvoir surnaturel de métamorphose.
Contraste entre le côté solennel de la nuit et la simplicité du jour : les« perlettes » évoquent de petites perles sans prétention. Le caractère généreux du jour est mis en valeur : l’aube distribue ses trésors : la rosée du matin. Le comparant peut suggérer la lumière dorée de la rosée.
Du Bellay dresse dans chaque strophe un tableau aux couleurs évocatrices : les « cavernes profondes » désignent l’obscurité, relayées d’ailleurs par l’adjectif « noirs », dans le deuxième quatrain la couleur dorée domine, par des adjectifs explicites : «  blondes », et par des expressions plus implicites : « de ses trésors les prés enrichissait », «mille perlettes rondes », le premier tercet est dominé par la couleur verte et le second tercet par le rouge.


L’apparition de la nymphe :
Les deux premiers tableaux s'éclipsent au profit d'un nouveau tableau plus frappant. Apparition de la première personne : « Je » + verbe de perception + apostrophe lyrique « Ô fleuve mien » avec « Ô » antéposé et accentué -> valeur affective très forte, mise en relief -> lyrisme.
« comme une étoile vive ». Insiste sur l'idée de lumière : « étoile », adj « vive » donne un caractère fulgurant. Utilisation d'une assonance en « i » + allitération en « v »
Le fleuve aussi un être vivant et la nymphe tranche sur ces êtres : la nuit, l'aube; par sa plus grande lumière, sa plus grande vivacité, plus naturelle.
 Nymphe : divinité féminine des eaux et des bois dans la Grèce antique.
La femme aimée apparaît par une métaphore : elle est élevée au rang d’une divinité « cette nouvelle Aurore » : nymphe
montre que le jour a poursuivi son évolution (aube aurore) : terme prépare la rivalité entre les 2 éléments nymphe devient une nouvelle aurore qui entre en rivalité avec l'aurore réelle.
La plus grande beauté de la nymphe explique la réaction humaine du jour qui devient honteux
ciel coloré.
Personnifications succèdent aux personnifications, images succèdent aux images pour animer la nature comme dans la mythologie pour mettre en valeur la femme aimée qui devient la plus belle des divinités.
Si Du Bellay utilise la mythologie pour faire l'éloge de la femme aimée (en poète humaniste), il donne en même temps à son sonnet une dimension plus familière et plus personnelle en variant les tonalités.
- L'image de la Nymphe est différée (le mot « Nymphe » n'apparaît qu'au vers 11 alors qu'elle est annoncée depuis deux vers) : effet de suspension dramatique, d'attente -> procédé de dramatisation -> il y a bien mise en scène de l'apparition de la femme aimée.
- Métaphore : la femme aimée est d'abord désignée par « étoile vive » vers 9 : cette comparaison fait écho au vers 2 : les étoiles illuminent la nuit comme la femme aimée illumine la vie du poète. « troupeau d'étoiles vagabondes » / « une étoile vive » -> elle apparaît singulière, sa beauté/ lumière est égale à celle d'une multitude d'étoiles, comme si elle rassemblait l'éclat de toutes les étoiles. Autre métaphore, celle de la « Nymphe » (vers 11) qui sort du fleuve -> sorte de nouvelle Aphrodite (d'ailleurs les nymphes sont les compagnes d'Aphrodite-> cette femme représente l'amour, la beauté.
- Allitérations en [v] et [i] + « étoile vive » (vers 9) et « en riant » (vers 11) = vitalité, elle s'impose comme une radieuse évidence, sur fond de paysage fluvial, le fleuve aimé du poète. C'est une Aphrodite angevine (il adapte/transpose la mythologie antique).
- Couleurs du paysage : vert de l'eau et de l'herbe de la rive, l'éclat de l'étoile vive.


Rythme du poème :
- Rythme des vers : 
décasyllabes. Deux groupes rythmiques 4/6, rythme croissant ou amplification rythmique -> harmonie rythmique (rythme régulier 4/6 et même schéma rythmique), le rythme est mélodieux. Ce tableau est un tableau quotidien, récurrent, ritualisé, on assiste à un rituel qui est peut-être de l'ordre du mythe (régularité + imparfait à valeur répétitive). 4/6 -> amplification rythmique + enjambement -> insuffle un dynamisme, la fuite de la nuit qui essaie de rassembler au plus vite ses troupeaux avant l'arrivée du jour ; comme si le rythme était mimétique et mimait la cavale des chevaux.
Rimes embrassées.

-> Tableau en mouvement, dont le dynamisme vient du rythme croissant 4/6, de l'enjambement du vers 1 au vers 2, des verbes d'actions et de mouvements. Tableau harmonieux avec la répétition du même schéma rythmique, des échos sonores par le biais des rimes, 
allitérations et assonances (en [a] et [oua]). + contraste entre blanc et noir.


La pointe du poème : dernier tercet : Beauté du jour supplanté par la beauté de la nymphe/ femme aimée du poète
- Nouvelle rupture avec le premier tercet : « Alors » de valeur chronologique et logique + présent de narration (effet d'actualisation) et présent progressif (« colore » vers 13 et « voyant » vers 12). Le troisième tableau se modifie, se magnifie en un quatrième tableau encore plus marquant.
- La Nymphe est désormais comparée par le biais d'une métaphore à une « nouvelle Aurore » (vers 12), comme si sa beauté éblouissante (vers 9) surpassait celle de « l'Aube » déjà présente. L'arrivée de la Nymphe annonce la victoire de l'Occident sur l'Orient, la victoire de la Nymphe/Nouvelle Aurore sur l'Aube, avec la double transfiguration du ciel et du poète.
- Sonorités : allitérations en [v]x3, [r]x6, et en dentales [t, d]x3 -> consonnes assez vigoureuses -> choc de l'apparition. Répétitions de [v] et de [i] -> vie, vitalité, vivacité de la Nymphe. Assonances en [o], [ô] et [ou] -> étonnement, ébahissement.
- Vers 13-14 : au lieu du traditionnel Occident / Orient on a Angevin / Orient, comme si cette petite région représentait tout l'Occident car la femme aimée s'y trouve. Mais nous verrons aussi que ce terme « l'Angevin » peut définir le poète.
- Couleurs du paysage : le rouge du ciel qui s'empourpre (enjambement du vers 13 à 14 : amplification rythmique qui met en valeur la pointe tout en traduisant la double contamination de l'Orient et de l'Occident, qui deviennent rouges) de honte et de jalousie l'emporte sur l'atmosphère bucolique du tercet précédent. A moins que ce ne soit le poète qui rougisse, et sa rougeur fait écho à celle du ciel.
- On abandonne la première personne du premier tercet pour la troisième personne : le poète se désigne lui-même par « l'Angevin » (vers 14) -> mise à distance, recul, comme s'il se regardait rougir de loin avec un brin d'humour et d'ambiguïté -> rougissement de gêne/ pudeur, de plaisir ou peut-être même de désir.
Conclusion

Dans ce poème chaque strophe constitue une unité de sens : un personnage principal, un paysage, une couleur dominante, et une action. Les trois premières strophes préparent la pointe (« tout le sonnet est tendu vers sa chute » de Théodore de Banville dans son Traité sur le sonnet) : victoire de la belle sur le jour.
Le poète a choisi de faire place à sa culture personnelle. Il choisit d'évoquer l'antiquité pour s'inscrire avec les poètes de la Pléiade dans ce retour de l'antiquité qui marque l'humanisme.






Un exemple de topos : celui de la Belle Matineuse : Un thème précieux au XVIe et au XVIIe siècles. 

Exemple :

Des portes du matin l'Amante de Céphale 
Ses roses épandait dans le milieu des airs
Et jetait sur les Cieux nouvellement ouverts
Ses traits d'or et d'azur qu'en naissant elle étale 

Quand la Nymphe divine à mon repos fatale ,
Apparut, et brilla de tant d'attraits divers
Qu'il semblait qu'elle seule éclairait l'univers
Et remplissait de feux la rive orientale. 

Le Soleil se hâtant pour la gloire des Cieux,
Vint opposer sa flamme à l'éclat de ses yeux
Et prit tous les rayons dont l'Olympe se dore. 

L'onde , la terre, et l'air s'allumaient à l'entour.
Mais auprès de Philis on le prit pour l'Aurore
Et l'on crut que Philis était l'astre du jour.

Vincent Voiture, (1597-1648), 1635.

Questions envisageables :
Comment la forme du sonnet est-elle ici au service de la mise en scène de la femme aimée ?
En quoi ce poème est-il lyrique ?
En quoi ce poème évoque-t-il un topos de manière originale ?