Fiche
récapitulative : Chapitre LI du livre II. Le Rouge et le noir de Stendhal.
Le discours
de Julien
Situation de
l’extrait dans le roman : Après avoir tiré sur Mme de Rênal, Julien en
prison s’est refusé à toutes démarches susceptibles de lui épargner l’échafaud.
Lors des interrogatoires, il a répété « J’ai donné la mort avec
préméditation …je mérite la mort. » Il s’est promis avant le procès de ne
pas parler, malgré les supplications de Mathilde. Cependant, après avoir
assisté en spectateur au réquisitoire, il prend la parole. Son discours,
inspiré par l’émotion qu’il lit dans le regard des femmes et particulièrement
dans celui de Mme Derville est pathétique et sublime. Excité par le regard
insolent de Valenod, Julien lance son propre réquisitoire contre ses juges.
·
le
pathétique lié au courage de Julien.
Julien s’est
exhorté en prison à vaincre la peur de la mort. Son orgueil et l’image de Napoléon
son modèle lui imposent une conduite héroïque. Au moment du verdict, son goût
du sublime triomphe. La résolution de parler semble être déclenchée par des
signes extérieurs : la cloche qui sonne minuit et le regard de Mme
Derville.
·
Les accents
de la passion : Le
coupable exprime son admiration pour la victime. L’éloge de Mme de Rênal est
hyperbolique avec des superlatifs « la plus digne » et des pluriels
amplificateurs :tous les respects, tous les hommages ». En son
absence il peut lui exprimer un ultime message de reconnaissance cf
"comme une mère", "adoration filiale".
·
Un aveu sans
complaisance :
Julien plaide coupable avec circonstances aggravantes. Il énonce avec sobriété
les faits : "attenter aux jours, crime prémédité" (l’italique
sur prémédité prouve l’insistance sur l’adjectif pendant le discours). Il juge
son crime « atroce ». il prononce son propre verdict : "la
mort m’attend : elle sera juste », "j’ai donc mérité la
mort": la conjonction de conséquence "donc" indique la
détermination. La brièveté des phrases suggère une justice implacable.
·
Réquisitoire
contre une justice de classe : 2ème
partie du discours, Julien met à
distances les faits pour analyser les motifs réels de sa condamnation. Sans se
préoccuper de son propre salut, Julien retourne le procès contre ses juges et
opère symboliquement sa propre réhabilitation. L’accusé devient la victime
expiatoire de la haine sociale et des intérêts politiques qui régissent les
contemporains.
·
Une ample
période (longue phrase composée de plusieurs subordonnées) oratoire : Julien prononce d’un trait une longue phrase
construite sur un rythme binaire (mouvement de la construction de la phrase en
deux temps) :
-
"voudront punir en moi et décourager"
- "liés
dans une classe inférieure et opprimés par la pauvreté"
-"ont
le bonheur et l’audace de"
·
Antithèses : Le discours est charpenté par une série
d’antithèses opposant l’accusé, victime exemplaire de l’injustice sociale aux
juges coupables de vengeance de classe. Deux ensembles lexicaux définissent les
termes de l’opposition. D’un côté le « je » se généralise, il devient
« ma jeunesse », « cette classe de jeunes gens », « né
dans une classe inférieure », de l’autre côté, les jurés caractérisés par leurs intentions :
"punir", "décourager à jamais" et ce qui symbolise «
l’orgueil des gens riches". Ils incarnent « la société".
Ils veulent faire de Julien un exemple pour dissuader d’autres jeunes
gens pauvres d’emprunter la même voie.
·
Quel crime
juge-t-on ? En
concluant par « voilà mon crime » Julien revient totalement sur le
repentir exprimé précédemment, "mon crime est atroce ». Les
véritables chefs d’accusation qui pèsent sur lui sont ses mérites :
« le bonheur de se procurer une bonne éducation », « l’audace
de se mêler de la société »
·
Le discours
du mépris :
Julien avait ressenti du mépris dans le regard de Valenod et des autres
notables : « les yeux de ce cuistre sont flamboyants, se dit-il, quel
triomphe pour cette âme basse ! » Il retourne donc ce mépris contre
les juges.
·
ironie : Le respect affiché formellement renforce par
contraste l’arrogance de l’expression :"Messiers les jurés",
affectation d’humilité : « je n’ai point l’honneur d’appartenir à
votre classe » soulignant la vanité hypocrite des membres du tribunal. A la fin du discours les notables sont
qualifiés péjorativement de « bourgeois indignés ».
·
Négations : Julien récuse ses juges par des phrases
négatives : "je ne vous demande aucune grâce", "je en suis
point jugé par mes pairs" ;
·
Anticipations : sans attendre la sanction, il exclut la
clémence et assure le tribunal de sa supériorité par sa
clairvoyance : "la mort m’attend", "mon crime sera puni
avec d’autant plus de sévérité".
·
Un discours à double entente :
Julien ne s’adresse pas tant aux jurés dont il ne reconnaît pas la légitimité
qu’au public qui lui a manifesté sa sympathie et compassion. C’est pour lui
qu’il déroule les rouages de la parodie de justice dont il est victime.
Conclusion : Ce discours paradoxal révèle l’énergie morale
de Julien aussi inaltérable devant la mort que face aux obstacles rencontrés
durant sa carrière d’ambitieux. Son orgueil y donne sa mesure. L’individualiste
dépasse son intérêt et sa fierté pour revendiquer l’appartenance à une classe
sociale, celle des défavorisés, il transfigure son échec personnel en symbole
d’injustice sociale. Julien s’élève au-dessus de la société par la
lucidité avec laquelle il juge son fonctionnement et fait ainsi une sortie
héroïque particulièrement mémorable, avant de découvrir le véritable bonheur en
prison auprès de Mme de Rênal, loin de toute préoccupation de réussite sociale.
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