lundi 2 juin 2014

Le discours de Julien


Fiche récapitulative : Chapitre LI du livre II. Le Rouge et le noir de Stendhal.

 

Le discours de Julien

Situation de l’extrait dans le roman : Après avoir tiré sur Mme de Rênal, Julien en prison s’est refusé à toutes démarches susceptibles de lui épargner l’échafaud. Lors des interrogatoires, il a répété «  J’ai donné la mort avec préméditation …je mérite la mort. » Il s’est promis avant le procès de ne pas parler, malgré les supplications de Mathilde. Cependant, après avoir assisté en spectateur au réquisitoire, il prend la parole. Son discours, inspiré par l’émotion qu’il lit dans le regard des femmes et particulièrement dans celui de Mme Derville est pathétique et sublime. Excité par le regard insolent de Valenod, Julien lance son propre réquisitoire contre ses juges.

·         le pathétique lié au courage de Julien.

Julien s’est exhorté en prison à vaincre la peur de la mort. Son orgueil et l’image de Napoléon son modèle lui imposent une conduite héroïque. Au moment du verdict, son goût du sublime triomphe. La résolution de parler semble être déclenchée par des signes extérieurs : la cloche qui sonne minuit et le regard de Mme Derville.

·         Les accents de la passion : Le coupable exprime son admiration pour la victime. L’éloge de Mme de Rênal est hyperbolique avec des superlatifs «  la plus digne » et des pluriels amplificateurs :tous les respects, tous les hommages ». En son absence il peut lui exprimer un ultime message de reconnaissance  cf "comme une mère", "adoration filiale".

·         Un aveu sans complaisance : Julien plaide coupable avec circonstances aggravantes. Il énonce avec sobriété les faits : "attenter aux jours, crime prémédité" (l’italique sur prémédité prouve l’insistance sur l’adjectif pendant le discours). Il juge son crime « atroce ». il prononce son propre verdict : "la mort m’attend : elle sera juste », "j’ai donc mérité la mort": la conjonction de conséquence "donc" indique la détermination. La brièveté des phrases suggère une justice implacable.

·         Réquisitoire contre une justice de classe : 2ème partie du discours, Julien met  à  distances les faits pour analyser les motifs réels de sa condamnation. Sans se préoccuper de son propre salut, Julien retourne le procès contre ses juges et opère symboliquement sa propre réhabilitation. L’accusé devient la victime expiatoire de la haine sociale et des intérêts politiques qui régissent les contemporains.

·         Une ample période (longue phrase composée de plusieurs subordonnées) oratoire : Julien prononce d’un trait une longue phrase construite sur un rythme binaire (mouvement de la construction de la phrase en deux temps) :

- "voudront punir en moi et décourager"

- "liés dans une classe inférieure et opprimés par la pauvreté"

-"ont le bonheur et l’audace de"

·         Antithèses : Le discours est charpenté par une série d’antithèses opposant l’accusé, victime exemplaire de l’injustice sociale aux juges coupables de vengeance de classe. Deux ensembles lexicaux définissent les termes de l’opposition. D’un côté le « je » se généralise, il devient « ma jeunesse », « cette classe de jeunes gens », « né dans une classe inférieure », de l’autre côté, les jurés  caractérisés par leurs intentions : "punir", "décourager à jamais" et ce qui symbolise «  l’orgueil des gens riches". Ils incarnent «  la société". Ils veulent faire de Julien un exemple pour dissuader d’autres jeunes gens  pauvres d’emprunter la même voie.

·         Quel crime juge-t-on ? En concluant par « voilà mon crime » Julien revient totalement sur le repentir exprimé précédemment, "mon crime est atroce ». Les véritables chefs d’accusation qui pèsent sur lui sont ses mérites : «  le bonheur de se procurer une bonne éducation », « l’audace de se mêler de la société »

·         Le discours du mépris : Julien avait ressenti du mépris dans le regard de Valenod et des autres notables : « les yeux de ce cuistre sont flamboyants, se dit-il, quel triomphe pour cette âme basse ! » Il retourne donc ce mépris contre les juges.

·         ironie : Le respect affiché formellement renforce par contraste l’arrogance de l’expression :"Messiers les jurés", affectation d’humilité : « je n’ai point l’honneur d’appartenir à votre classe » soulignant la vanité hypocrite des membres du tribunal.  A la fin du discours les notables sont qualifiés péjorativement de « bourgeois indignés ».

·         Négations : Julien récuse ses juges par des phrases négatives : "je ne vous demande aucune grâce", "je en suis point jugé par mes pairs" ;

·         Anticipations : sans attendre la sanction, il exclut la clémence et assure le tribunal de sa supériorité par sa clairvoyance : "la mort m’attend", "mon crime sera puni avec d’autant plus de sévérité".

·          Un discours à double entente : Julien ne s’adresse pas tant aux jurés dont il ne reconnaît pas la légitimité qu’au public qui lui a manifesté sa sympathie et compassion. C’est pour lui qu’il déroule les rouages de la parodie de justice dont il est victime.

Conclusion : Ce discours paradoxal révèle l’énergie morale de Julien aussi inaltérable devant la mort que face aux obstacles rencontrés durant sa carrière d’ambitieux. Son orgueil y donne sa mesure. L’individualiste dépasse son intérêt et sa fierté pour revendiquer l’appartenance à une classe sociale, celle des défavorisés, il transfigure son échec personnel en symbole d’injustice sociale. Julien s’élève au-dessus de la société par la lucidité avec laquelle il juge son fonctionnement et fait ainsi une sortie héroïque particulièrement mémorable, avant de découvrir le véritable bonheur en prison auprès de Mme de Rênal, loin de toute préoccupation de réussite sociale.

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