mardi 24 février 2015

Fiche récapitulative de l'incipit de l'étranger.



Fiche récapitulative : Incipit,  L’Etranger, Albert Camus             -


Du début à « prendre des tickets et faire deux heures de route. ».

 

Un journal intime ?
  • Récit à la première personne.
  • Connecteurs  temporels lié au présent du narrateur (présent d'énonciation) « aujourd’hui », « hier », « demain », « dans l’après-midi », « demain soir » :
  •  Personnage dont nous apprenons le nom par le hasard des événements racontés : « Mme Meursault », dit le directeur de l’asile, tout comme nous ne pouvons que deviner que l’action se passe à Alger. Ce qui ajoute encore à l’illusion du journal intime.
  • Cependant, nous n’en avons pas les indices traditionnels (écriture sous forme de notes, indications de lieu et d’heure de l’écriture). Pas de logique narrative propre au genre du journal.
  • Le personnage vit le temps présent et le lecteur ne suit l'action qu'à travers son regard et son rapport particulier au monde

Une écriture simple
  • Phrases apparemment très simples : Le discours est à peine plus construit que le télégramme retranscrit dans le premier paragraphe. Phrases réduites parfois à la plus simple construction grammaticale possible : noter par exemple la récurrence du schéma Sujet-Verbe-Complément. (phrases neutres)
  • L'écriture donne une impression d'authenticité, d'immédiateté :
                Pas de réelle mise en doute de la véracité des événements relatés : pas de soupçon du            lecteur. Renforce d’autant plus cette entrée dans la conscience du héros.
  • La succession des événements est extrêmement brève, puisque les faits sont consignés de la manière la plus épurée possible. Par ailleurs, l’absence assez frappante de termes de liaison (asyndètes) crée l’illusion d’une succession d’actions mécanisées : « l’asile est à deux kilomètres du village. J’ai fait le chemin à pied. J’ai voulu voir maman tout de suite. »
  • L’absence frappante de descriptions
                Cet incipit fait apparaître un certain nombre de personnages, dont aucun n’est décrit.               Ainsi, la mère du « maman est morte » n’est-elle jamais l’objet d’une description,    alors même qu’elle est au centre de la narration de cet extrait. De la même manière, Le               patron, Céleste, Emmanuel, Le concierge, le militaire sont réduits à leurs simples     prénoms ou fonction, ainsi qu’à leurs propos. Seul le directeur de l’asile a droit à un    semblant de description : « C’était un petit vieux », « il m’a regardé de ses yeux       clairs ». Elle est cependant réduite à son minimum, et on ne sort ni de l’expression          courante (petit vieux) ni de la construction grammaticale simpliste (yeux clairs).
                Les lieux ne sont pas davantage l’objet de description. Finalement, les actions n’en     prennent que plus d’importance encore, puisque le récit tout entier se concentre sur       leur enchaînement.

Un personnage étrange

  • A cause des temps utilisés (PC : non coupé de la situation d’énonciation, PI et FS), l’expression de la temporalité du narrateur est réduite au minimum. Impression que seuls les termes hier-aujourd’hui-demain sont pertinent dans la conscience de ce dernier. Isolement du présent de l’indicatif, qui reste la seule référence possible du narrateur : « Aujourd’hui », « hier » « enterrement demain ».
  • Toutes les actions semblent être mises sur le même plan : la mort de la mère et le fait de trouver une cravate... Il n'y a pas de hiérarchie dans la présentation des évènements alors que pour le lecteur l'annonce de la mort de la mère devrait être le thème central, raison pour laquelle la première phrase du texte est extrêmement connue.
  • Un personnage apparemment indifférent.
                Pas un seul sentiment n’est exprimé sous la plume du narrateur face à cet événement             tragique entre tous. Les trois premières phrases n’ont de but que la recherche de la date       exacte de la mort. Le personnage semble surtout s'intéresser aux modifications d’emploi du temps qu’elle entraîne : « je prendrai l’autobus », « j’ai demandé deux                jours de congé », 
                Enfin, le dernier paragraphe de l’extrait est même réellement choquant : il explique   son refus d’aller voir sa mère parce qu’elle s’est habituée à l’asile, mais surtout à cause             de « l’effort pour aller à l’autobus… ». La présence du tiret après « ça me prenait mon    dimanche » accroît encore le décalage entre l’action peu glorieuse et son explication                 qui l’est encore moins.
  • Finalement, les seules réactions « émotionnelles » à la mort de la mère sont celles des personnages de l’entourage de Meursault : « ils avaient tous beaucoup de peine pour moi », « On n’a qu’une mère », ou encore la longue poignée de main du directeur, sans doute destinée à montrer sa compassion. Mais non seulement les autres font preuve de sentiments qu’il ne dévoile pas, lui le premier concerné, mais encore ces effusions ont presque l’air de le gêner : Le constat de la peine de ses amis est si succinct qu’il semble étonné, la poignée de main l’embarrasse. Tout contact amical, qu’il soit de compassion circonstanciée ou amical (le sourire du militaire) est refusé, considéré comme gênant, voire impudique.

  • Une logique déconcertante
                La réflexion du narrateur consiste à trouver les raisons de l’attitude peu agréable du   patron, qui viendrait du caractère « non officiel » du deuil qui disparaîtrait après             l’enterrement : « une affaire classée ». Le lecteur a du mal à suivre le raisonnement, et             le paradoxe entre l’apaisement du patron et l’affaire classée de l’enterrement… La         logique de la réflexion nous échappe


Un personnage pourtant sensible
  • Des détails et des sensations
Des actions accomplies sous l’influence d’impressions et de sensations physiques (le sommeil dans le bus est causé par « cette hâte, cette course (…), ajouté aux cahots, à l’odeur d’essence, à la réverbération de la route et du ciel »), la chaleur (« il faisait très chaud »)
Meursault observe ce qui l'entoure avec beaucoup d'acuité : « c'était un petit vieux avec la Légion d'Honneur », « de ses yeux clairs », il se souvient que le militaire assis à ses côtés lui a souri, que le directeur lui a pris la main longuement. Les paroles de Céleste,  et du directeur sont retranscrites au discours direct pour insister sur leur authenticité.
  • Une émotion dite entre les lignes, implicite.
Le personnage de Meursault montre par son attitude une impatience à se rendre sur le lieu du décès, « j'ai voulu voir maman tout de suite » dit être étourdi  en en expliquant maladroitement la cause : « parce qu'il a fallu que je monte chez Emmanuel pour lui emprunter une cravate », refuse la discussion avec un militaire dans le car : « J'ai dit « oui »  pour ne plus avoir à parler ». Le lecteur peut y voir une certaine pudeur chez le personnage et non une insensibilité. L'emploi du terme « maman » et non « mère », terme enfantin est encore un signe de son affection..
  • Un sentiment de culpabilité à fleur de peau
                Le seul sentiment qui, finalement, transparaît clairement dans le texte, c’est le             sentiment de culpabilité de Meursault. Que ce soit lorsqu’il parle à son patron (« ce n’est pas de ma faute », « je n’aurai pas dû dire cela », « je n’avais pas à m’excuser »)   ou au directeur (« j’ai cru qu’il me reprochait quelque chose »), que ce soit même quand il commente les paroles de ce dernier (« C’était vrai »). C’est à travers ce            sentiment de culpabilité que se ressent le mieux la sensibilité de Meursault





Conclusion : Cette première plongée dans le roman qu’est la lecture de l’incipit est particulièrement déconcertante dans le cas de L’Etranger. Coupé des codes traditionnels de la lecture romanesque, placé face à une intériorité dont il peine à comprendre le fonctionnement et le raisonnement, confronté à l’événement tragique de la mort de la mère et ne trouvant pas les réactions émotionnelles attendues, le lecteur ressent un malaise qu’il met immédiatement sur le compte du héros qui paraît particulièrement antipathique. En réalité, si Meursault est effectivement donné comme un degré zéro de la conscience, il n’est pas pour autant un personnage si indifférent. Et son refus d’interpréter ses actes n’est pas tant la preuve d’un refus de communication ou d’émotion qu’un refus de ne donner qu’une signification aux choses. Au lecteur d’apprécier, de combler les manques de la narration, d’imaginer tous les possibles de ces actes, mais aussi de la laisser ouverte. Tous les éléments du procès qui seront utilisés contre Meursault se trouvent, finalement, concentrés dans cet incipit.

Questions envisageables :
  1. En quoi cet incipit est-il original ?
  2. En quoi le personnage peut-il paraître étrange ?
  3. En quoi cet incipit rompt-il avec l’esthétique du roman traditionnel ?

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