LA FONTAINE, La Cour du Lion, Fiche
récapitulative
L’écriture de Fables,
par Jean de La Fontaine, au XVIIème siècle, s’inscrit dans une tradition très
ancienne, celle du fabuliste grec Ésope par exemple, mais il s’agissait aussi
pour lui de renouveler le genre, en y ajoutant une forme de « gaieté »
et un « certain charme ». Et cette originalité, très perceptible dès
le premier recueil, devient éclatante avec le second recueil, paru en 1678, dans
la mesure où le ton de La Fontaine se fait plus politique et philosophique.
Ainsi, dans « La Cour du Lion », La Fontaine met-il en scène une
société de cour, avec des courtisans soumis à bien rude épreuve par le roi
Lion, ce qui bien sûr s’inscrit dans le cadre d’une réflexion sur les rapports
des courtisans avec leur monarque dans le milieu aristocratique du XVIIème
siècle.
Une fable
Un récit suivi d’une morale, selon la disposition
traditionnelle, qui n’est pas toujours suivie par LF
·
Le récit, le « corps » de la fable a pour fonction de «
plaire » au lecteur en l’entraînant dans un monde imaginaire,
ici un monde d’animaux où il est question de Lion, d’Ours, de Singe et de Renard
qui parlent, avec chacun un caractère spécifique : le lion est puissant,
l’ours peu sociable, « mal léché », dit-on d’un ours, le singe
imitateur sans trop de réflexion, et le renard rusé…
·
La morale, « l’âme », a
pour fonction d’ « instruire » en présentant un « enseignement » (v.
34) du récit : ici la morale indique que la fiction visait bien à parler d’un groupe humain
clairement identifié, ceux qui sont
« à la cour » (v.35), les courtisans, comme l’indiquait déjà le titre. La Fontaine les interpelle
directement, avec une abondance de 2ème personne,
« Ne soyez », « si vous voulez », « tachez ».
Le fabuliste leur parle, et cette adresse au lecteur contribue aussi à le séduire, à
l’interpeller, à le capter.
Composition
du récit
Deux mouvements bien distincts :
·
La première partie (v. 1 à 14) présente
l’intention du roi de célébrer sa puissance en faisant venir tous ses
sujets à la cour durant un mois en cour plénière, avec un grand festin suivi d’un spectacle en journée d’ouverture. Le cadre temporel situe la scène dans un passé
de conte indéterminé et lointain : « un jour voulut »
(v. 1.)
·
Puis, dans une seconde partie (v. 15 à
32), c’est le carnage : l’arrivée des sujets au palais signe leur
condamnation à mort pour deux d’entre eux qui ont déplu au roi, l’ours et le
singe, et un troisième, le renard, sauve sa peau de justesse. En fait, la
représentation théâtrale (« les tours de Fagotin », v. 11) à laquelle
étaient conviés les animaux est devenue la mise en scène par le roi de la mort de deux d’entre eux, puisqu’ils ont péri
sous « la griffe du prince » (v.
22).
La brutalité du changement d’une partie à l’autre montre évidemment
toute la violence de notre monde animal.
Une écriture
expressive
La variété des vers
contribue à animer le récit
·
Ainsi les v. 1 et 2, deux alexandrins,
présentent la volonté royale dans un rythme ample et régulier (6 /6),
l’ampleur du rythme étant encore soulignée par l’enjambement des vers 1
à 2, et les diérèses (li-onne, nati-on).
·
Puis les
vers suivants (1 à 12) sont des octosyllabes, plus courts, sans rythme
régulier, avec de nombreux enjambements qui donnent un tour assez prosaïque
à l’écriture.
·
L’immédiateté de la condamnation de l’ours est exprimée au
vers 18-19, puisque la cause du déplaisir royal est présentée rapidement, en un
hémistiche « Sa grimace déplut… » (v. 18), et l’irritation du
monarque se manifeste immédiatement, dès le second hémistiche. La parataxe
qui coupe l’alexandrin souligne la rapidité et la brutalité de la
réaction royale.
·
La suite de la fable alterne différents types de
vers, par exemple le commentaire du fabuliste (v. 25,26) qui désigne la
cruauté du roi est mis en relief par un changement de vers :
l’octosyllabe pour le commentaire du fabuliste, et l’alexandrin dans les vers
précédents et suivants pour le récit (v. 24,25 et 28,29).
La variété des
discours contribue aussi à cette expressivité
·
Le discours direct du lion, qui s’exprime
avec des impératifs (« dis », « parle »), dans un
alexandrin, souligne sa domination (v. 30).
·
Les propos du singe « Il loua la
colère » (v. 21,22) et les excuses
du renard : « Et l’autre aussitôt de s’excuser/….rhume »
(v . 30, 31)sont d’abord exprimés avec un résumé de paroles, qui traduit
leur empressement à se protéger d’une éventuelle colère
royale. Ensuite seulement ils sont
rapportés avec du discours indirect libre, ce
qui montre par contraste la supériorité de la parole de roi, qui est le
seul à pouvoir s’exprimer un discours direct. (v. 23, 24 et « il ne
pouvait que dire/sans odorat » v. 31,32)
Une image de
la cour de France
·
Le lion est bien à l’image du monarque
français : l’expression « Sa Majesté lionne » (v.1) renvoie
de façon parodique à l’appellation du roi de France « Sa Majesté très
chrétienne », avec la même majuscule à Majesté et l’emploi
adjectival de « lionne » (v.1) qui fait écho à l’adjectif féminin « chrétienne ». Il est désigné par le terme de
« monarque » (v. 17), appelé « sire » par le renard.
·
LF parle de « vassaux », ce qui
renvoie à une France plus ancienne, et la résidence des rois de France a bien été le Louvre avant que Louis XIV ne
préfère Versailles.
·
Le vocabulaire de l’autorité monarchique
est extrêmement présent : « manda…par députés » (v. 3),
« circulaire écriture » (v. 6), « sceau » (v.7),
« cour plénière » (v.9). LF insiste beaucoup sur les codes en
usage à la cour, sur la forme, sur l’étiquette.
·
Différentes personnifications rapprochent le
lion de l’homme, par ex. il est « irrité », « en colère »
(v.18)… Et de façon générale, l’abondance des
personnifications souligne la proximité entre le monde animal et le
monde humain(« narine », « faire cette mine », « le
dégoûté »…).
·
Et bien sûr les autres animaux incarnent
différents types de courtisans : l’ours, le courtisan lourd et
maladroit, le singe le « flatteur excessif » à en être ridicule
(comme Polignac qui avait dit à Louis XIV que la pluie de Marly ne mouillait
pas, ce qui l’avait beaucoup choqué…), le renard, le courtisan habile.
La satire
Les cibles de la satire
·
Le roi est critiqué, pour son despotisme,
sa vanité, sa volonté de puissance.
-Sa volonté de toute puissance est
soulignée par certains mots à la rime « maître » (v. 2),
« puissance » (v. 13), ainsi que par la reprise du déterminant
« tout » : « de toute nature » (v. 4), de tous les côtés (v. 5).
- sa vanité,
son orgueil est perceptible dans sa
volonté de « magnificence », et l’organisation d’ « fort grand festin » (noter l’adv.
et l’adj. Intensifs) pour étaler (v.
13) sa puissance. La vie de cour doit être rythmée par des spectacles et
festins qui sont autant de célébrations de la puissance royale, de mises en scène de son pouvoir.
- son despotisme
est mis en relief par la disproportion entre la cause du châtiment (une
mimique déplaisante, une trop grande obséquiosité) et la conséquence :
une condamnation à mort.
Le châtiment est présenté avec humour
dans la périphrase « L’envoya chez Pluton faire le dégoûté » (v. 19), ou dans la parenté avec Caligula,
empereur romain dont on dit qu’après la mort de sa sœur il a condamné à mort
les courtisans qui ne pleuraient pas la sœur, et aussi ceux qui la pleuraient
parce qu’ils ne croyaient donc pas qu’elle était devenue une déesse après sa
mort. L’humour est lié au rapprochement d’un sujet commun – une histoire
d’animaux- avec des références mythologiques et historiques. Mais c’est bien une brutalité tout
à fait bestiale qui caractérise le
roi, comme le montre l’expression « ce Monseigneur du lion-là » (v. 26)
qui rapproche de façon amusante le titre le plus haut du monde aristocratique
et l’animal le plus féroce de la jungle.
·
La satire porte aussi sur les courtisans.
-
L’ours, maladroit, mal dégrossi, s’exprime par
une mimique, et ne maîtrise donc ni son comportement ni apparemment le langage
puisqu’il ne parle pas. Il est condamné pour son naturel extrême
(v. 16, 18), son manque de domination sur lui-même qui ne correspond aux usages
de la cour. Sa perception du Louvre correspond bien à une réalité exprimée dans
un commentaire du fabuliste « Quel Louvre, un vrai
charnier ! » (v. 15), mais le monde de la cour exige de respecter
certaines règles de politesse élémentaires, on ne montre pas à son hôte que
l’odeur de son logis est pestilentielle !
-
Le singe, lui, se distingue par son manque de
naturel (approuva fort, v. 20))
souligné par le fabuliste dans des commentaires : « flatteur
excessif » (v. 21), « sotte flatterie » (v. 24). Il
pratique l’emphase, comme le montre l’énumération des v. 22,
23 : « la colère/Et la griffe du prince et l’antre, et cette
odeur ». La répétition de « et » l’anaphore du v.
23 : « il n’était…il n’était » témoignent aussi d’une emphase ridicule. Ses paroles
rapportées au discours indirect libre (v. 23, 24) montrent toute son
obséquiosité, soulignée de façon comique par la comparaison triviale : « Il
n’était ambre, il n’était fleur/ qui ne fut ail
au prix. » (v. 24)
-
Seul le renard « s’en tire »,
(l’expression même montre la cour comme un lieu de tous les dangers), par un
mensonge plausible « alléguant » (v. 31) : il réussit à parler
et à ne rien dire : « il ne pouvait que dire /sans odorat »
(discours indirect libre du v. 31).
La moralité de
la, fable est donc la proposition d’un
idéal de vie de prudence, le
courtisan idéal étant celui qui a les apparences
du naturel -le renard peut parler de
son « rhume »- tout en étant dans l’artifice
et le mensonge. L’antithèse du v. 36, « ni fade adulateur, ni parleur
trop sincère » met l’accent sur la nécessité d’une position de retrait,
celle de l’expression finale de la morale « répondre en normand ».
Nous avons vu comment La Fontaine a traité de façon ludique
et plaisante un sujet bien grave et sérieux. Le récit nous a montré, avec
humour, à quel point la position de prudence, de modération, de distance avisée conseillée dans la
moralité était difficile à maîtriser dans le milieu cruel de la cour, dont le
fabuliste s’est toujours tenu éloigné.
Questions envisageables:
Comment l’art de la
fable est-il au service d’une critique virulente ?
Comment cette fable
met-elle en œuvre la volonté de La Fontaine de plaire pour instruire ?
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